« ... Bismarck part à la rencontre du roi. Il a raconté lui-même, dans ses mémoires, les détails pittoresques de ce voyage incognito : l'attente anxieuse "dans l'obscurité, sur une brouette renversée", sur le quai de la gare de Jüterbog, l'arrivée du train dans la nuit et l'entretien pathétique avec son maître dans un petit compartiment de première classe. Ses pressentiments ne l'avaient pas trompé. "Je vois très bien comment tout cela finira", lui dit Guillaume, "On vous tranchera la tête, place de l'Opéra, sous mes fenêtres, et puis, ce sera mon tour." La réponse de Bismarck va décider de son sort. Elle se résume en trois mots : "Et après, Sire ?" N'y a-t-il pas pour un officier prussien de destin plus haut que de périr dignement ? Que ce soit sur l'échafaud ou sur le champ de bataille, cela ne change rien à la gloire de ceux qui exposent leur corps et leur vie pour la défense de leur droit. Cette fois, Guillaume est conquis : il est incapable de rester insensible à cet appel de son honneur. Premier officier de Prusse, comment refuserait-il de défendre jusqu'à la mort le poste qui lui est assigné ? ... »
Constantin de Grunwald - Bismarck - Albin Michel, 1949 - page 137.
Pour se changer du bling-bling évoqué par la citation 14, on peut penser à ce qui se passait en 1862 lorsque le roi de Prusse Guillaume 1er, partagé entre ses principes de souverain éclairé et l'absence de scrupules de son nouveau Président du Conseil intérimaire (c'était alors le titre de Bismarck), songeait à abdiquer. Ces deux-là étaient soucieux de leur pays, le second en étant le moteur, toujours fougueux, souvent dangereux, et le premier assumant le rôle de conducteur plus prudent et respectueux de la nation.
Pour évoquer le pipole de l'époque, il semble d'abord que le Chancelier de Fer fut toujours fidèle à sa discrète femme Johanna qui lui montait en cachette des petits verres d'alcool dans sa chambre lorsque son médecin le mettait à la diète... ça, c'est un couple ! Il y a bien eu à la cinquantaine une mystérieuse fugue, réputée platonique par certains biographes, à Biarritz avec la belle Kathy, la Princesse russe Catherine Orlov, vingt et un ans à peine, avec laquelle il correspondit longtemps ... On dit même qu'ils nageaient nus dans l'Atlantique et qu'ils furent recueillis par des pêcheurs basques dans cet état mais, pour un Allemand et une Russe peut-être adeptes du Frei Körper Kultur avant la lettre, ce n'est pas une preuve de « mauvaise conduite ».
Bismarck a presque autant pleuré la mort de sa femme que celle de son dogue noir Sultan ; il était en effet toujours accompagné d'immenses chiens que les malicieux berlinois avaient fini par surnommer après 1971 les Reichhunde (les chiens de l'Empire). Bien sûr, Bismarck n'était pas un petit saint : éclats, manipulations, vraies ou fausses colères, ruses, fonds secrets, achat de journalistes prussiens et étrangers, financement de partis étrangers amis et j'en passe. Ajoutons aussi que le vieil Otto s'est considérablement enrichi dans ses fonctions mais c'était admis à l'époque comme cela le redevient ouvertement de nos jours.
BLACKSHEEP !